We’ve updated our Terms of Use to reflect our new entity name and address. You can review the changes here.
We’ve updated our Terms of Use. You can review the changes here.

Fatal Cosmos #2

from Fatal Cosmos by Stomoxine records

/
  • Streaming + Download

    Includes unlimited streaming via the free Bandcamp app, plus high-quality download in MP3, FLAC and more.
    Purchasable with gift card

      €1 EUR  or more

     

about

stomoxinerecords.free.fr

FATAL COSMOS #2

CHAPITRE 2

Quand j'ai quitté l'autoroute le soleil se levait déjà. J'étais épuisée ; j'ai dormi sur le parking après le péage. Je me suis réveillée sous la chaleur, déjà, et le vent léger. Trois palmiers maigrichons indiquaient qu'on était plutôt au sud. Je voulais arriver à Alicante avant la nuit. J'ai repris ma route. J'ai rêvassé quelques heures en conduisant, puis une enseigne REPSOL m'a fait signe de loin : j'ai pris la voie d'accès à l'aire de repos, garé la voiture sur un parking abrité d'un toit de tôle et gagné le bar au premier étage du bâtiment massif baptisé « GRILL-HOTEL » en lettres de néon rouges sur fond blanc.
En attendant mon café au lait et mes churros, je parcours d'un oeil distrait la dernière page d'El Païs ; la lumière inonde la salle entièrement vitrée, l'odeur du plateau que la serveuse pose devant moi accompagne ma lecture du journal. En léchant le bout de mes doigts poudrés de sucre, je découvre en dernière page le sourire d'un enfant irakien : ses bras ont été arrachés, et les manches de sa chemisette à carreaux flottent sur un vide que vont bientôt remplacer des prothèses grâce à une équipe de l' hôpital de Chicago, Illinois. J'ai soudain une petite angoisse : il me semble que j'ai laissé mes phares allumés ; je me dirige vers la sortie – petits écrans bleus à silhouettes blanches, deux personnages et une flèche dans la bonne direction ; je croise une famille de Hollandais nauséeux. De loin, je pouvais voir ma voiture, feux éteints. J'ai gagné la sortie du bar en empruntant l'escalator extra-large jusqu'au hall dallé de marbre. J'ai accéléré le pas en approchant de ma voiture ; sous l'essuie glace, côté conducteur, un carré de papier plutôt rigide, flyer quelconque ; j'y jette un oeil en le froissant. Je suis bien obligée d'admettre qu'il s'agit de moi. Ma photo... pas envie de me poser des questions dès le petit déjeuner. On verra plus tard. Je glisse l'image dans la poche de mon pantalon et je roule en vérifiant que personne ne me suit pendant une centaine de kilomètres, jusqu'au promontoire de Calpe. A ma gauche, le soleil s'élevait progressivement et la Méditerranée faisait naître un paysage technicolor : j'arrivais à la latitude du western spaghetti. La roche couverte d'un maquis odorant de myrtes, de figuiers de barbarie et d'aloes entourait d'ocre ma vision. La radio brisait ma tentative d'atteindre la plénitude de la contemplation en crachant sans relâche sa soupe d'infos et de tubes internationaux. Après quelques essais infructueux j'ai déniché la fréquence de la RNE... Enfants du divorce, problèmes d'éducation, malaise social standard, OFF, silence. Derrière Calpe c'est Benidorm, gentil cauchemar franquiste pour touristes démobilisés de la SS. Boutiques de souvenirs, restaurants, hôtels : est-ce ce souvenir horrifiant des années soixante noyées de honte, d'oubli et de béton ? Une vilaine sensation grimpe tout à coup de mes genoux à mon plexus ; ni peur ni nausée, quelque chose de plus diffus, comme l'inverse du bien-être : plus la route défilait, plus je sentais que quelque chose m'attendait là-bas, sur l'aire que je venais de quitter. Brusque dévoilement, apocalypse qui me pousse irrésistiblement à faire demi-tour. Un coup sec de frein à main, volte-face, bande d'arrêt d'urgence à rebours. Il faut tenir dix kilomètres. Esquive, parade, échappée, zig-zag, route enchantée de la remémoration. Mon rétroviseur me montre désormais les véhicules qui me précèdent, qui filent vers mon futur, en avant dans le temps non moins que dans l'espace. Inversion spatio-temporelle que permettaient l'heure matinale et la faible circulation. Saumon acharné à remonter le cours de la rivière natale, je traçais ma route le long de ce couloir de sauvegarde dans lequel j'espérais que personne n'avait eu la fatale idée de s'arrêter. Sortie 65, El Tossat, issue de mon parcours inversé. Je vois dans les yeux horrifiés du conducteur qui la quittait et se trouvait donc face à moi, l'au-delà d'une injure, bouche ouverte à contre-sens dans la bretelle d'accès. Je lui rends un sourire, évite son véhicule, et me gare pour la deuxième fois sur le parking au toit de tôle. Personne en vue, juste une brise qui commençait à virer et apportait désormais non plus l'odeur décapante de la mer mais un mélange de gaz d'échappement et de barbecue. Faut vraiment être branque pour organiser un pique-nique sur une aire d'autoroute. Pourtant, plusieurs familles se régalaient sur une herbe en phase terminale ponctuée de crottes desséchées. Esthétiquement, comme position de base, j'aime bien la sècheresse. Elle stylise formes et volumes et réduit à l'essentiel. Ici, justement, l'essentiel est misérable. Accablée par ce déjeuner sur l'herbe au milieu des emballages de sandwiches et des enfants souillés de ketchup, je notai pourtant une scène émouvante: un homme de dos s'était mis à danser. Ses pieds se soulevaient alternativement, transférant le poids de son corps d'une jambe sur l'autre. Quelque chose d'une danse indienne, en plus rapide. Son imperméable, genre trench-coat fripé, tournait autour de lui, ses pans posés sur le vent assez fort désormais. Sa danse s'accompagnait d'un chant, une mélodie plaintive, presque inaudible, un peu geignarde. Les enfants face à lui ont cessé d'engloutir leur cônes glacés pendant que leurs mères se mettaient à hurler. Le danseur a achevé sa rotation, comme une pirouette au ralenti, bras écartés en seconde position. Il ne dansait pas, il brûlait. A petites flammes, et son chant modulait sa douleur. J'ai attrapé le plaid qui traîne sur la banquette arrière de ma voiture et j'ai couru vers l'homme-torche. J'ai jeté la couverture sur son corps flambant pour étouffer les flammmes. En me voyant, l'homme a fait un dernier geste de pantin enflammé, plaçant ses bras en couronne au-dessus de sa tête puis il s'est écroulé au sol en spirale dans un mouvement qui ne manquait pas d'élégance. Je l'ai enveloppé dans la couverture pour arrêter la combustion;au loin j'entendais déjà la sirène des pompiers ; j'ai pris le temps de fouiller la sacoche en tissu enduit, ornée du logo d'une entreprise pharmaceutique qui gisait à quelques pas et dont il avait dû se débarrasser au début de sa danse macabre. J'aurais pu être flattée : elle était pleine de photos de moi. Plus exactement, d'une photo de moi, toujours la même, prise d'assez près à la terrasse d'un café que je ne reconnaissais pas. Dupliquée à au moins 3000 exemplaires couleur. Au-dessous de mon visage ainsi multiplié se trouvait inscrit non un numéro de portable comme on aurait pu s'y attendre mais d'immatriculation, et le descriptif d'une voiture, la mienne, marque, modèle, couleur. J'ai poussé un cri de douleur quand ma main est entrée en contact avec la fermeture métallique de la sacoche chauffée à distance par les flammes. J'ai remballé les photos réparties en tas que maintenaient des élastiques de caoutchouc, et j'ai entrepris de répondre aux questions du pompier qui me félicitait de mon courage. J'avais sauvé la vie de cet homme. J'ai décliné mon état-civil, et expliqué comme je pouvais ma présence sur les lieux. Tout ceci serait vérifié me précisa le chef de section dépêché tout exprès - beau garçon au regard un peu borné. Aurais-je, mais oui bien sûr, comment en irait-il autrement ? - l'obligeance de le suivre jusqu'à l'hôpital d'Alicante où l'homme devait déjà tenir la vedette débarqué de l'hélicoptère venu le chercher pendant que j'admirais en lui répondant le capitaine nommé Clemente. Moi, les avions, j'ai pas confiance, les hélicos encore moins. Ils m'ont proposé de suivre avec ma voiture le camion des pompiers qui ouvrait la route avec sa sirène. Ça m'allait très bien. Sous le siège passager, la sacoche pesait son poids d'énigme. J'aimais bien, ça la rendait vivante comme un petit animal. J'ai eu une pensée pour mon hamster, mort électrocuté quand j'avais 7 ans. Ses poils carbonisés tout hérissés, ses yeux devenus phosphorescents, qui fixaient avidement le néant des rongeurs. C'est ma soeur qui me l'avait décrit, plus tard. Moi j'avais perdu connaissance en touchant le fil dénudé qu'il tenait entre ses dents. On le lui avait pourtant répété, qu'il ne fallait pas ronger tout ce qui traînait sur la moquette. Pas assez, apparemment.

lyrics

CHAPITRE 2

Quand j'ai quitté l'autoroute le soleil se levait déjà. J'étais épuisée ; j'ai dormi sur le parking après le péage. Je me suis réveillée sous la chaleur, déjà, et le vent léger. Trois palmiers maigrichons indiquaient qu'on était plutôt au sud. Je voulais arriver à Alicante avant la nuit. J'ai repris ma route. J'ai rêvassé quelques heures en conduisant, puis une enseigne REPSOL m'a fait signe de loin : j'ai pris la voie d'accès à l'aire de repos, garé la voiture sur un parking abrité d'un toit de tôle et gagné le bar au premier étage du bâtiment massif baptisé « GRILL-HOTEL » en lettres de néon rouges sur fond blanc.
En attendant mon café au lait et mes churros, je parcours d'un oeil distrait la dernière page d'El Païs ; la lumière inonde la salle entièrement vitrée, l'odeur du plateau que la serveuse pose devant moi accompagne ma lecture du journal. En léchant le bout de mes doigts poudrés de sucre, je découvre en dernière page le sourire d'un enfant irakien : ses bras ont été arrachés, et les manches de sa chemisette à carreaux flottent sur un vide que vont bientôt remplacer des prothèses grâce à une équipe de l' hôpital de Chicago, Illinois. J'ai soudain une petite angoisse : il me semble que j'ai laissé mes phares allumés ; je me dirige vers la sortie – petits écrans bleus à silhouettes blanches, deux personnages et une flèche dans la bonne direction ; je croise une famille de Hollandais nauséeux. De loin, je pouvais voir ma voiture, feux éteints. J'ai gagné la sortie du bar en empruntant l'escalator extra-large jusqu'au hall dallé de marbre. J'ai accéléré le pas en approchant de ma voiture ; sous l'essuie glace, côté conducteur, un carré de papier plutôt rigide, flyer quelconque ; j'y jette un oeil en le froissant. Je suis bien obligée d'admettre qu'il s'agit de moi. Ma photo... pas envie de me poser des questions dès le petit déjeuner. On verra plus tard. Je glisse l'image dans la poche de mon pantalon et je roule en vérifiant que personne ne me suit pendant une centaine de kilomètres, jusqu'au promontoire de Calpe. A ma gauche, le soleil s'élevait progressivement et la Méditerranée faisait naître un paysage technicolor : j'arrivais à la latitude du western spaghetti. La roche couverte d'un maquis odorant de myrtes, de figuiers de barbarie et d'aloes entourait d'ocre ma vision. La radio brisait ma tentative d'atteindre la plénitude de la contemplation en crachant sans relâche sa soupe d'infos et de tubes internationaux. Après quelques essais infructueux j'ai déniché la fréquence de la RNE... Enfants du divorce, problèmes d'éducation, malaise social standard, OFF, silence. Derrière Calpe c'est Benidorm, gentil cauchemar franquiste pour touristes démobilisés de la SS. Boutiques de souvenirs, restaurants, hôtels : est-ce ce souvenir horrifiant des années soixante noyées de honte, d'oubli et de béton ? Une vilaine sensation grimpe tout à coup de mes genoux à mon plexus ; ni peur ni nausée, quelque chose de plus diffus, comme l'inverse du bien-être : plus la route défilait, plus je sentais que quelque chose m'attendait là-bas, sur l'aire que je venais de quitter. Brusque dévoilement, apocalypse qui me pousse irrésistiblement à faire demi-tour. Un coup sec de frein à main, volte-face, bande d'arrêt d'urgence à rebours. Il faut tenir dix kilomètres. Esquive, parade, échappée, zig-zag, route enchantée de la remémoration. Mon rétroviseur me montre désormais les véhicules qui me précèdent, qui filent vers mon futur, en avant dans le temps non moins que dans l'espace. Inversion spatio-temporelle que permettaient l'heure matinale et la faible circulation. Saumon acharné à remonter le cours de la rivière natale, je traçais ma route le long de ce couloir de sauvegarde dans lequel j'espérais que personne n'avait eu la fatale idée de s'arrêter. Sortie 65, El Tossat, issue de mon parcours inversé. Je vois dans les yeux horrifiés du conducteur qui la quittait et se trouvait donc face à moi, l'au-delà d'une injure, bouche ouverte à contre-sens dans la bretelle d'accès. Je lui rends un sourire, évite son véhicule, et me gare pour la deuxième fois sur le parking au toit de tôle. Personne en vue, juste une brise qui commençait à virer et apportait désormais non plus l'odeur décapante de la mer mais un mélange de gaz d'échappement et de barbecue. Faut vraiment être branque pour organiser un pique-nique sur une aire d'autoroute. Pourtant, plusieurs familles se régalaient sur une herbe en phase terminale ponctuée de crottes desséchées. Esthétiquement, comme position de base, j'aime bien la sècheresse. Elle stylise formes et volumes et réduit à l'essentiel. Ici, justement, l'essentiel est misérable. Accablée par ce déjeuner sur l'herbe au milieu des emballages de sandwiches et des enfants souillés de ketchup, je notai pourtant une scène émouvante: un homme de dos s'était mis à danser. Ses pieds se soulevaient alternativement, transférant le poids de son corps d'une jambe sur l'autre. Quelque chose d'une danse indienne, en plus rapide. Son imperméable, genre trench-coat fripé, tournait autour de lui, ses pans posés sur le vent assez fort désormais. Sa danse s'accompagnait d'un chant, une mélodie plaintive, presque inaudible, un peu geignarde. Les enfants face à lui ont cessé d'engloutir leur cônes glacés pendant que leurs mères se mettaient à hurler. Le danseur a achevé sa rotation, comme une pirouette au ralenti, bras écartés en seconde position. Il ne dansait pas, il brûlait. A petites flammes, et son chant modulait sa douleur. J'ai attrapé le plaid qui traîne sur la banquette arrière de ma voiture et j'ai couru vers l'homme-torche. J'ai jeté la couverture sur son corps flambant pour étouffer les flammmes. En me voyant, l'homme a fait un dernier geste de pantin enflammé, plaçant ses bras en couronne au-dessus de sa tête puis il s'est écroulé au sol en spirale dans un mouvement qui ne manquait pas d'élégance. Je l'ai enveloppé dans la couverture pour arrêter la combustion;au loin j'entendais déjà la sirène des pompiers ; j'ai pris le temps de fouiller la sacoche en tissu enduit, ornée du logo d'une entreprise pharmaceutique qui gisait à quelques pas et dont il avait dû se débarrasser au début de sa danse macabre. J'aurais pu être flattée : elle était pleine de photos de moi. Plus exactement, d'une photo de moi, toujours la même, prise d'assez près à la terrasse d'un café que je ne reconnaissais pas. Dupliquée à au moins 3000 exemplaires couleur. Au-dessous de mon visage ainsi multiplié se trouvait inscrit non un numéro de portable comme on aurait pu s'y attendre mais d'immatriculation, et le descriptif d'une voiture, la mienne, marque, modèle, couleur. J'ai poussé un cri de douleur quand ma main est entrée en contact avec la fermeture métallique de la sacoche chauffée à distance par les flammes. J'ai remballé les photos réparties en tas que maintenaient des élastiques de caoutchouc, et j'ai entrepris de répondre aux questions du pompier qui me félicitait de mon courage. J'avais sauvé la vie de cet homme. J'ai décliné mon état-civil, et expliqué comme je pouvais ma présence sur les lieux. Tout ceci serait vérifié me précisa le chef de section dépêché tout exprès - beau garçon au regard un peu borné. Aurais-je, mais oui bien sûr, comment en irait-il autrement ? - l'obligeance de le suivre jusqu'à l'hôpital d'Alicante où l'homme devait déjà tenir la vedette débarqué de l'hélicoptère venu le chercher pendant que j'admirais en lui répondant le capitaine nommé Clemente. Moi, les avions, j'ai pas confiance, les hélicos encore moins. Ils m'ont proposé de suivre avec ma voiture le camion des pompiers qui ouvrait la route avec sa sirène. Ça m'allait très bien. Sous le siège passager, la sacoche pesait son poids d'énigme. J'aimais bien, ça la rendait vivante comme un petit animal. J'ai eu une pensée pour mon hamster, mort électrocuté quand j'avais 7 ans. Ses poils carbonisés tout hérissés, ses yeux devenus phosphorescents, qui fixaient avidement le néant des rongeurs. C'est ma soeur qui me l'avait décrit, plus tard. Moi j'avais perdu connaissance en touchant le fil dénudé qu'il tenait entre ses dents. On le lui avait pourtant répété, qu'il ne fallait pas ronger tout ce qui traînait sur la moquette. Pas assez, apparemment.

credits

from Fatal Cosmos, track released February 7, 2013

license

tags

about

Stomoxine records Gavaudun, France

cassettes, acousmatic, folk, electronica, ambient, noise, improvisations...

contact / help

Contact Stomoxine records

Streaming and
Download help

Redeem code

Report this track or account

Stomoxine records recommends:

If you like Stomoxine records, you may also like: