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Fatal Cosmos

by Stomoxine records

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1.
CHAPITRE 0 « J'ai approché la flamme de mon briquet de l'essence qui coulait lentement sur le sol bitumé. Le bruit d'un soupir a empli mes oreilles. J'ai couru vers ma voiture. En partant j'ai regardé dans le rétroviseur les langues de feu lécher les murs vitrés de la station service. J'ai repensé à la Pentecôte, à l'Esprit Saint. Cinquante jours après la mort du Christ. Cinquante jours pour inverser le sens d'une course, pour dresser des flammes vers le ciel et renvoyer à Dieu Tout Puissant les langues ardentes de l'Esprit Saint. »
2.
CHAPITRE 1 J'ai roulé assez longuement sur l'autoroute, longeant le fleuve dans la nuit. La paix et le sommeil m'envahissent ; ma voiture, le ciel, lumière noire de vitrail. Je fatigue, mes yeux piquent. Je décide de m'arrêter à la prochaine aire de repos. Je prends de l'essence, j'achète des chewing-gums, en savourant le plaisir de ne plus acheter de cigarettes. Une station devant la machine à café : EXPRESSO COURT NON SUCRE – il faut d'abord choisir NON SUCRE ; on peut aussi préférer AVEC LAIT ou SANS LAIT, ou encore prendre une BOISSON AROME CACAO, ou un MOKACCINO, ou un MACCHIATO, mais je n'ai jamais bien compris de quoi il s'agit. Dans la partie inférieure de la machine, je vois le reflet de l'employée à la blouse blanche finement rayée de rouge, au fond de la boutique en train d'aligner des sandwiches triangulaires sous emballage plastique ; son seau et son balai barrent l'entrée des toilettes. Je vais néanmoins me rafraîchir ; lorsque je quitte la place, mes mains ont la même odeur de fraise synthétique que le désinfectant qui a servi à nettoyer le sol. Je rejoins ma voiture sur le parking ; les néons des enseignes disparaissent de mon rétroviseur, le noir m'envahit à nouveau et je recommence ma lutte contre le sommeil.
3.
CHAPITRE 2 Quand j'ai quitté l'autoroute le soleil se levait déjà. J'étais épuisée ; j'ai dormi sur le parking après le péage. Je me suis réveillée sous la chaleur, déjà, et le vent léger. Trois palmiers maigrichons indiquaient qu'on était plutôt au sud. Je voulais arriver à Alicante avant la nuit. J'ai repris ma route. J'ai rêvassé quelques heures en conduisant, puis une enseigne REPSOL m'a fait signe de loin : j'ai pris la voie d'accès à l'aire de repos, garé la voiture sur un parking abrité d'un toit de tôle et gagné le bar au premier étage du bâtiment massif baptisé « GRILL-HOTEL » en lettres de néon rouges sur fond blanc. En attendant mon café au lait et mes churros, je parcours d'un oeil distrait la dernière page d'El Païs ; la lumière inonde la salle entièrement vitrée, l'odeur du plateau que la serveuse pose devant moi accompagne ma lecture du journal. En léchant le bout de mes doigts poudrés de sucre, je découvre en dernière page le sourire d'un enfant irakien : ses bras ont été arrachés, et les manches de sa chemisette à carreaux flottent sur un vide que vont bientôt remplacer des prothèses grâce à une équipe de l' hôpital de Chicago, Illinois. J'ai soudain une petite angoisse : il me semble que j'ai laissé mes phares allumés ; je me dirige vers la sortie – petits écrans bleus à silhouettes blanches, deux personnages et une flèche dans la bonne direction ; je croise une famille de Hollandais nauséeux. De loin, je pouvais voir ma voiture, feux éteints. J'ai gagné la sortie du bar en empruntant l'escalator extra-large jusqu'au hall dallé de marbre. J'ai accéléré le pas en approchant de ma voiture ; sous l'essuie glace, côté conducteur, un carré de papier plutôt rigide, flyer quelconque ; j'y jette un oeil en le froissant. Je suis bien obligée d'admettre qu'il s'agit de moi. Ma photo... pas envie de me poser des questions dès le petit déjeuner. On verra plus tard. Je glisse l'image dans la poche de mon pantalon et je roule en vérifiant que personne ne me suit pendant une centaine de kilomètres, jusqu'au promontoire de Calpe. A ma gauche, le soleil s'élevait progressivement et la Méditerranée faisait naître un paysage technicolor : j'arrivais à la latitude du western spaghetti. La roche couverte d'un maquis odorant de myrtes, de figuiers de barbarie et d'aloes entourait d'ocre ma vision. La radio brisait ma tentative d'atteindre la plénitude de la contemplation en crachant sans relâche sa soupe d'infos et de tubes internationaux. Après quelques essais infructueux j'ai déniché la fréquence de la RNE... Enfants du divorce, problèmes d'éducation, malaise social standard, OFF, silence. Derrière Calpe c'est Benidorm, gentil cauchemar franquiste pour touristes démobilisés de la SS. Boutiques de souvenirs, restaurants, hôtels : est-ce ce souvenir horrifiant des années soixante noyées de honte, d'oubli et de béton ? Une vilaine sensation grimpe tout à coup de mes genoux à mon plexus ; ni peur ni nausée, quelque chose de plus diffus, comme l'inverse du bien-être : plus la route défilait, plus je sentais que quelque chose m'attendait là-bas, sur l'aire que je venais de quitter. Brusque dévoilement, apocalypse qui me pousse irrésistiblement à faire demi-tour. Un coup sec de frein à main, volte-face, bande d'arrêt d'urgence à rebours. Il faut tenir dix kilomètres. Esquive, parade, échappée, zig-zag, route enchantée de la remémoration. Mon rétroviseur me montre désormais les véhicules qui me précèdent, qui filent vers mon futur, en avant dans le temps non moins que dans l'espace. Inversion spatio-temporelle que permettaient l'heure matinale et la faible circulation. Saumon acharné à remonter le cours de la rivière natale, je traçais ma route le long de ce couloir de sauvegarde dans lequel j'espérais que personne n'avait eu la fatale idée de s'arrêter. Sortie 65, El Tossat, issue de mon parcours inversé. Je vois dans les yeux horrifiés du conducteur qui la quittait et se trouvait donc face à moi, l'au-delà d'une injure, bouche ouverte à contre-sens dans la bretelle d'accès. Je lui rends un sourire, évite son véhicule, et me gare pour la deuxième fois sur le parking au toit de tôle. Personne en vue, juste une brise qui commençait à virer et apportait désormais non plus l'odeur décapante de la mer mais un mélange de gaz d'échappement et de barbecue. Faut vraiment être branque pour organiser un pique-nique sur une aire d'autoroute. Pourtant, plusieurs familles se régalaient sur une herbe en phase terminale ponctuée de crottes desséchées. Esthétiquement, comme position de base, j'aime bien la sècheresse. Elle stylise formes et volumes et réduit à l'essentiel. Ici, justement, l'essentiel est misérable. Accablée par ce déjeuner sur l'herbe au milieu des emballages de sandwiches et des enfants souillés de ketchup, je notai pourtant une scène émouvante: un homme de dos s'était mis à danser. Ses pieds se soulevaient alternativement, transférant le poids de son corps d'une jambe sur l'autre. Quelque chose d'une danse indienne, en plus rapide. Son imperméable, genre trench-coat fripé, tournait autour de lui, ses pans posés sur le vent assez fort désormais. Sa danse s'accompagnait d'un chant, une mélodie plaintive, presque inaudible, un peu geignarde. Les enfants face à lui ont cessé d'engloutir leur cônes glacés pendant que leurs mères se mettaient à hurler. Le danseur a achevé sa rotation, comme une pirouette au ralenti, bras écartés en seconde position. Il ne dansait pas, il brûlait. A petites flammes, et son chant modulait sa douleur. J'ai attrapé le plaid qui traîne sur la banquette arrière de ma voiture et j'ai couru vers l'homme-torche. J'ai jeté la couverture sur son corps flambant pour étouffer les flammmes. En me voyant, l'homme a fait un dernier geste de pantin enflammé, plaçant ses bras en couronne au-dessus de sa tête puis il s'est écroulé au sol en spirale dans un mouvement qui ne manquait pas d'élégance. Je l'ai enveloppé dans la couverture pour arrêter la combustion;au loin j'entendais déjà la sirène des pompiers ; j'ai pris le temps de fouiller la sacoche en tissu enduit, ornée du logo d'une entreprise pharmaceutique qui gisait à quelques pas et dont il avait dû se débarrasser au début de sa danse macabre. J'aurais pu être flattée : elle était pleine de photos de moi. Plus exactement, d'une photo de moi, toujours la même, prise d'assez près à la terrasse d'un café que je ne reconnaissais pas. Dupliquée à au moins 3000 exemplaires couleur. Au-dessous de mon visage ainsi multiplié se trouvait inscrit non un numéro de portable comme on aurait pu s'y attendre mais d'immatriculation, et le descriptif d'une voiture, la mienne, marque, modèle, couleur. J'ai poussé un cri de douleur quand ma main est entrée en contact avec la fermeture métallique de la sacoche chauffée à distance par les flammes. J'ai remballé les photos réparties en tas que maintenaient des élastiques de caoutchouc, et j'ai entrepris de répondre aux questions du pompier qui me félicitait de mon courage. J'avais sauvé la vie de cet homme. J'ai décliné mon état-civil, et expliqué comme je pouvais ma présence sur les lieux. Tout ceci serait vérifié me précisa le chef de section dépêché tout exprès - beau garçon au regard un peu borné. Aurais-je, mais oui bien sûr, comment en irait-il autrement ? - l'obligeance de le suivre jusqu'à l'hôpital d'Alicante où l'homme devait déjà tenir la vedette débarqué de l'hélicoptère venu le chercher pendant que j'admirais en lui répondant le capitaine nommé Clemente. Moi, les avions, j'ai pas confiance, les hélicos encore moins. Ils m'ont proposé de suivre avec ma voiture le camion des pompiers qui ouvrait la route avec sa sirène. Ça m'allait très bien. Sous le siège passager, la sacoche pesait son poids d'énigme. J'aimais bien, ça la rendait vivante comme un petit animal. J'ai eu une pensée pour mon hamster, mort électrocuté quand j'avais 7 ans. Ses poils carbonisés tout hérissés, ses yeux devenus phosphorescents, qui fixaient avidement le néant des rongeurs. C'est ma soeur qui me l'avait décrit, plus tard. Moi j'avais perdu connaissance en touchant le fil dénudé qu'il tenait entre ses dents. On le lui avait pourtant répété, qu'il ne fallait pas ronger tout ce qui traînait sur la moquette. Pas assez, apparemment.
4.
CHAPITRE 3 La voix de Carlos Gardel occupait les couloirs de l'hôpital, volver, volver... revenir. L'homme en blanc, air concentré et compatissant voulait m'annoncer que s'il survivait à ses brûlures, l'inconnu de l'autoroute garderait de graves séquelles. On ne pouvait pas lui parler, pas tout de suite, peut-être le lendemain dans la soirée. Revenir, il faudra revenir. J'y retournai, je revins ; l'hôpital d'Alicante reçut ma visite. Je ne revis pas le chirurgien, trop occupé, mais une infirmière m'indiqua gentiment la chambre que je cherchais. On ne pouvait y entrer : un sas vitré, surchauffé, stérile, où il reposait, momie sur un cercueil de verre. Blanche-Neige, Walt Disney. Impossible de lui parler. Je me contentai de le contempler depuis le couloir. Dans une bonne série télé, c'est le moment où une âme charitable – infirmière, aide-soignante, plus rarement médecin, s'approcherait de moi, jetterait un oeil dans la chambre et dirait : « C'est impressionnant mais ça ne veut pas dire que tout est perdu. » Mais là, rien, pas d'équipe de tournage. Je fis donc semblant de croire que j'étais dans le réel. Personne ne viendrait m'aider à supporter la vue d'un homme se défaisant en lambeaux de chair ; personne ne prendrait part à ces adieux. Code civil, livre premier : des personnes ; titre quatrième : des absents ; chapitre premier : de la présomption d'absence. Depuis longtemps, j'avais suivi des routes surprenantes, avec des bribes pour seuls repères, les miettes du Petit Poucet : un agenda, le dernier, presque inutilisé, arrêté au jour de la disparition ; il se trouvait dans ma boîte noire, celle où tombent les témoins indestructibles des petites catastrophes de ma vie. Un carnet beige à la couverture cartonnée, glissée dans un étui de cuir aux quatre coins renforcés de métal doré. Finalement, ce semi-cadavre momifié offrait quelques avantages ; dans la lumière rouge de la chambre d'hôpital où la température ne descendait jamais au-dessous de 40°, je m'accoutumais peu à peu à cette absence programmée. Ironie suprême, les grands brûlés meurent aussi bien de froid que de septicémie. J'avais très chaud ; l'absent se trouvait là où personne ne l'attendait avec son petit tas de photos et mon numéro d'immatriculation. Ce n'était pas son visage que j'avais reconnu, c'était son écriture, celle de la liste de courses à la dernière page de l'agenda ; les mêmes chiffres que ce numéro sur la photo, trois lettres seulement, assez pour être sûre. Art.112 Lorsqu'une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l'on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu'il y a présomption d'absence. Art 128 Le jugement déclaratif d'absence emporte, à partir de la transcription, tous les effets que le décès établi de l'absent aurait eus. Le conjoint de l'absent peut contracter un nouveau mariage. Art 132 Le mariage de l'absent reste dissous, même si le jugement déclaratif d'absence a été annulé. Les écrits restent. Ils demeurent. Manent...
5.
CHAPITRE 3' Un coup d'œil toutes les demi-secondes. Dangereux. L'attention n'est plus continue, c'est comme ça qu'arrivent les accidents. Search. RDS. L' équivalent sonore d'un écran de télévision brouillé. 90.5. Search. Magma. Search. Crachotis. Quelques mots d'espagnol, pas de doute, je traverse les Pyrénées, Roncesvalls, brèche, assaut fameux. Deux parois sinistres, enfoncées dans la brume épaisse, caractéristique de la montagne en été. Je passe le col et le monument commémoratif de la trahison de Ganelon - et surtout de la victoire toujours recommencée de Charles le Grand, empereur des Chrétiens. A s'oublier Maure, l'Espagne se découvrit franquiste. Aznar venait de laisser la place sous le sobriquet fatal de Bigote, moustache ; bigotilla, ces quelques poils sous le nez où s'accrochent les vermicelles de la soupe. On devrait toujours se méfier d'un mec à moustaches.

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FATAL COSMOS
a Stomoxine feuilleton:
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released September 6, 2012

stomoxine records:
website: stomoxine.com
facebook: www.facebook.com/Stomoxine
soundcloud: soundcloud.com/stomoxine-records
youtube: www.youtube.com/user/Stomoxine
mixcloud: www.mixcloud.com/stomoxine_rec/

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Stomoxine records Gavaudun, France

cassettes, acousmatic, folk, electronica, ambient, noise, improvisations...

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